Le métier de Juriste Propriété Intellectuelle, par Bertrand DENIEUL, précédemment juriste PI chez TOTAL ENERGIES. Octobre 2023.
Dans quelles circonstances avez-vous commencé votre carrière dans la propriété industrielle ?
Le hasard des mutations m’a fait rentrer en 1996 dans le service de Propriété Industrielle d’Elf Aquitaine où j’étais en charge de la négociation des contrats R&D de la Direction Recherche. J’avais une formation de juriste généraliste avec un diplôme de RI acquis aux Etats Unis, J’ai bien aimé travailler avec les ingénieurs brevets qui m’ont fait découvrir leur art. Notre équipe était intégrée, avec un service documentation et on servait les besoins de l’ensemble des branches du Groupe. J’y ai fait ma première saisie contrefaçon, mais la direction commerciale avait, par courtoisie, prévenu les contrefacteurs la veille de la saisie !
J’ai alors commencé mon apprentissage théorique par un Master 2, à Paris II avec le Professeur Georges Bonnet en 2008, car cette formation était accessible en cours du soir. Je l’ai complétée en 2014 par une formation à l’IEEPI/Université de Strasbourg en stratégie de la propriété Industrielle. Mon mémoire portait sur la mise en place d’un programme de protection de secrets des affaires au moment même où les lois nationales sont rentrées en vigueur en 2018, suite à la directive européenne. C’était donc une bonne idée que j’ai pu mettre en pratique dans mon entreprise.
Pouvez-vous nous décrire votre parcours ?
Au moment de la fusion avec Total en 1999, je suis rentré au sein du département PI de Total Raffinage où je m’occupais, entre autres, des besoins contractuels de la Direction technique. Beaucoup de négociations de contrats de licence de technologie, mais aussi des négociations avec les bailleurs qui nous réclamaient des redevances que l’on avait oublié de payer ou bien quand les bailleurs nous vendaient des technologies qui ne marchaient pas et s’avéraient même dangereuses.
En 2006, j’ai passé trois mois à Rome pour négocier, au sein d’une équipe franco-saoudienne, l’achat de licences relatives à la construction de la raffinerie de Jubail. J’ai beaucoup appris des lawyers des cabinets américains, conseils des saoudiens, qui avaient mis en place d’efficaces grilles de lecture des contrats. Astucieux, ils ont réussi à faire accepter par la majorité des bailleurs de n’être payés qu’une fois que la raffinerie serait construite. Le temps c’est de l’argent.
Autre négociation intéressante, avec un groupe pétrolier américain qui détenait un brevet papier sur une technologie exploitée par nous depuis longtemps, mais sans brevet. Nous voulions l’utiliser dans une raffinerie en Chine et devions donc obtenir une licence de l’américain. A quel prix ? celui de contourner la technologie de l’américain, cad construire un tunnel sous la raffinerie, un pont…des millions de dollars ! Cela m’a appris comment estimer la valeur d’une technologie quand on a le dos au mur.
En 2012, j’ai rejoint la branche Exploration & Production de Total ce qui m’a amené à faire des missions intéressantes à l’étranger, comme cette négociation à Houston pour le rachat de technologies sur lesquelles nous avions « biddé » dans un appel d’offres au Moyen Orient, sans en être propriétaires… Situation embarrassante s’il en est et le partenaire nous réclamait des sommes conséquentes.
En 2019, j’ai aussi passé trois mois à Rio de Janeiro afin de mettre en place les modèles de contrats de R&D de la filiale brésilienne. J’ai fini ma carrière par un arbitrage OMPI en 2021 dans lequel nous étions à l’origine de la demande en arbitrage. J’ai donc pratiqué un spectre quasi complet des situations que l’on rencontre au sein d’une carrière dans la PI.
A quoi ressemblent vos journées ?
Travailler au sein d’un grand Groupe vous met en contact avec de nombreux métiers, techniques, commerciaux, fiscaux, juridiques et bien sûr de PI. Les journées sont différentes selon qu’on les passe en filiale à l’’étranger, et là on est dans une véritable ruche et le travail est très intense, ou dans les services centraux de la maison mère, ou encore dans un centre de recherche en province.
La PI au sein de Total se réunissait à l’occasion de conférences annuelles, et on participait à des ateliers interbranches, planchant sur des sujets divers. On a aussi publié un guide Total de la PI qui a été très bien reçu par les opérationnels. L’arrivée d’outils nouveaux de partage de l’information, comme Teams a permis une plus grande interactivité avec les métiers techniques débouchant par exemple sur la publication d’un guide PI de l’impression 3D. Cet outil m’a également permis de former aux questions de confidentialité l’ensemble des chercheurs de la branche E&P de Totalenergies.
Le métier de Juriste Propriété Intellectuelle, par Louise DIDES, juriste PI chez AIR LIQUIDE. Mars 2023.
Dans quelles circonstances avez-vous commencé votre carrière dans la propriété industrielle ?*
J’ai commencé en master 2, à Sciences Po. Je finissais ma première année de master Droit économique et les élèves de master 2 accompagnés de leurs directeurs sont venus nous présenter les différentes spécialités. J’ai tout de suite été séduite par l’ambition du droit de la propriété intellectuelle de protéger les créateurs individuels d’œuvres de l’esprit -ces auteurs et inventeurs qui font l’art et le progrès technique- autant que l’intérêt général. J’y ai vu un droit profondément justifié mais reposant sur un équilibre fragile, voué à être continuellement menacé et à faire l’objet de controverses. Une matière multiforme et complexe qui, présentée avec toute l’érudition de Michel Vivant, m’a immédiatement passionnée.
Pouvez-vous nous décrire votre parcours ? *
Je suis entrée chez Air Liquide après mon diplôme de master 2 à Sciences Po et deux stages : l’un en cabinet d’avocats, l’autre en cabinet de conseils en propriété industrielle. Chez Air Liquide, j’ai d’abord occupé un poste de Juriste Contrats et Propriété Intellectuelle. Puis, on m’a également confié un portefeuille de marques, de dessins et modèles et de noms de domaine. Enfin, dans mon dernier poste, je suis responsable du programme de reconnaissance des inventeurs (INVENT), des contrats intragroupe (de développement et de licences) et des questions de fiscalité liées à la PI, comme le régime de l’article 238 CGI ou le crédit d’impôt recherche.
A quoi ressemblent vos journées ?
Elles sont toutes différentes et riches d’échanges avec des personnes qui exercent d’autres métiers. Avec mes collègues Ingénieurs brevets ou Juristes qui peuvent m’interroger sur la structuration de la PI au sein du Groupe, la titularité des droits sur une invention, une marque ou un design (en vue d’une contractualisation ou d’un dépôt), le traitement d’un inventeur externe, stagiaire… Avec les Directeurs Technologies (CTO) des différentes activités du Groupe, dont on passe en revue les portefeuilles d’inventions et les rémunérations supplémentaires à verser. Ils m’apportent une vision concrète, des chiffres d’exploitation et me permettent d’identifier les inventions à fort impact qui font ensuite l’objet de discussion en haut comité. Avec les directeurs de centres d’innovation et les inventeurs, pour répondre aux questions, organiser des sessions de sensibilisation à INVENT, favoriser la déclaration d’inventions. Avec la Direction Financière et Fiscale, les fiscalistes, juristes ou contrôleurs de gestion salariés de filiales, pour répondre aux déclarations fiscales, mettre en place ou ajuster un contrat intragroupe, ou répondre à une question soulevée dans le cadre d’un contrôle. Il s’agit chaque jour de confronter les obligations légales aux réalités de l’entreprise, d’être rigoureux en même temps que pragmatique et, en quelque sorte : inventeur de solutions juridiques…
Le métier de Responsable Propriété Industrielle, par Jean-François RENOU, Responsable Propriété Intellectuelle chez Bolloré SE. Mars 2023
Dans quelles circonstances avez-vous commencé votre carrière dans la propriété industrielle ?
En dernière année d’Ecole d’Ingénieur, j’ai pu assister à un module complémentaire au cours duquel un conseil en Propriété Industrielle est venu nous parler de son métier et de la matière spécifique du Droit qu’est le « Droit de la Propriété Industrielle ». N’étant pas un « pur » scientifique, j’ai tout de suite été attiré par cette matière mêlant la technique et le juridique. Je me suis ensuite renseigné sur le cursus correspondant et j’ai alors intégré le CEIPI (Centre d’Etudes Internationales de la Propriété Intellectuelle) à l’université de Strasbourg en cycle long après mon cursus Ingénieur.
Pouvez-vous nous décrire votre parcours ?
Après avoir obtenu mon diplôme du CEIPI Brevets et Marques, Dessins & Modèles, j’ai commencé ma carrière en tant qu’Ingénieur Brevets Junior au sein d’un Cabinet de Conseil à Grenoble. Ces 3 ans de formation auprès de mandataires européens confirmés m’ont permis de bien entrer dans la profession. Désirant découvrir l’autre côté de la barrière, j’ai ensuite intégré la société Renault en tant qu’Ingénieur Brevets pendant 7 ans. Enfin, j’ai eu l’opportunité d’intégrer le Groupe Bolloré d’abord en tant qu’adjoint au Responsable PI puis en tant que Responsable PI aujourd’hui où je gère l’ensemble des titres des Propriété Industrielle des activités industrielles du Groupe (Brevets, Marques, Modèles, Noms de domaine, Contrats en lien avec la Propriété Industrielle et Litiges). J’ai la chance aussi de manager une équipe de 5 personnes réparties entre la France et le Canada. Je me suis également beaucoup investi au sein du Conseil d’Administration de l’ASPI, afin que le métier des spécialistes en Propriété Industrielle dans l’Industrie soit connu et reconnu auprès des Institutions et des autres associations professionnelles.
A quoi ressemblent vos journées ?
Même si cela semble trivial, mes journées sont loin de se ressembler et c’est cela qui fait tout l’attrait de ce métier. J’ai la chance d’être en interaction avec toutes les composantes de la société (Direction Générale, Direction R&D, Direction Financière, Direction des Achats, Direction de la Communication et du Marketing, Direction des Ressources Humaines,…) sur des sujets techniques passionnants et pour répondre à des demandes de conseils ou d’avis juridiques très variés. Je peux passer d’une question sur les inventions de salariés, à une relecture d’un contrat de collaboration, en passant par une recherche de disponibilités de marques, puis un avis sur le portefeuille des noms de domaine d’une filiale, entrecoupé de réunions budgétaires ou d’une réunion avec mon Responsable sur la stratégie du Groupe. Le management au quotidien d’une équipe est également très enrichissant compte tenu des personnalités et des profils différents au sein de mon équipe. Bref, il est difficile de s’ennuyer et il est rarement possible de prévoir les activités du lendemain, ce qui me motive tous les matins pour arriver en forme et être prêt à affronter le monde merveilleux de la Propriété Industrielle.
Adrien Renoult, docteur en traitement du signal de l’université de Cergy-Pontoise, Ingénieur brevets dans l’industrie des verres ophthalmiques. Octobre 2022.
Dans quelles circonstances avez-vous commencé votre carrière dans la propriété industrielle ?
J’ai réalisé une thèse CIFRE chez un acteur majeur des systèmes électroniques dédiés à la sécurité. A la suite de cette thèse, je suis resté 5 ans dans cette entreprise en tant qu’ingénieur système. J’ai pu en particulier participer à la définition des systèmes de communications pour l’Armée française.
Par la suite, une amie, qui avait fait sa thèse en même temps que moi et qui était devenue conseil en propriété industrielle, a pu m’expliquer les métiers liés aux brevets. J’ai été intéressé par la possibilité d’allier les aspects techniques et juridiques. J’ai alors postulé dans un cabinet de conseil en propriété industrielle où j’ai commencé ma carrière d’ingénieur brevet.
Pouvez-vous nous décrire votre parcours ?
Lors de mes débuts, j’ai été encadré et formé par une personne expérimentée. J’ai ensuite suivi une formation en alternance au CEIPI, pour obtenir le diplôme universitaire en Propriété Intellectuelle mention « Brevets d’invention ».
Durant mon parcours j’ai eu l’occasion de travailler dans plusieurs domaines techniques : télécommunication, systèmes médicaux, robotique, turbomoteur, domotique et ceci dans ou pour plusieurs entreprises.
J’ai pu traiter différentes problématiques liées à l’obtention de brevets et à l’utilisation de brevets. J’ai pu aussi participer à la défense d’entreprises accusées de contrefaçon d’un brevet. Enfin j’ai pu participer à l’élaboration de la stratégie relative au dépôt des demandes de brevet et au choix des inventions devant faire l’objet d’une protection.
Grâces à toutes ces expériences, j’ai pu augmenter mes connaissances techniques. J’ai aussi été confronté à des problématiques juridiques variées et j’ai passé par la suite un master de droit.
A quoi ressemblent vos journées ?
Que ce soit en cabinet ou en industrie mes journées sont jalonnées par une succession de dossiers. Ces dossiers traitent généralement de problématique techniques et juridiques différentes. Il peut s’agir de l’évaluation d’une invention pour déterminer s’il y a des éléments protégeables, la rédaction d’une demande de brevet, la réponse à des objections en provenance d’un office délivrant des brevets. J’assiste également des juristes lorsqu’ils sont confrontés à des problématiques liées aux brevets. Enfin une partie de mon rôle et de former et la sensibiliser à ce qu’il est possible de faire ou non avec un brevet. Dans tous les cas j’ai besoin de comprendre les problèmes auxquels mes interlocuteurs sont confrontés afin de proposer une solution optimale.
Laure Berruet, docteur ès sciences, Ingénieur brevets expert chez Groupe SEB, le leader mondial du petit Electroménager. Octobre 2022.
Dans quelles circonstances avez-vous commencé votre carrière dans la propriété industrielle ?
C’est pendant ma thèse de Doctorat à l’université de Strasbourg, que j’entends parler par une étudiante allemande en Post-Doc, d’un secteur d’activité recrutant des scientifiques de haut niveau, il s’agit de l’office Européen des Brevets à Munich. En explorant plus en profondeur, je découvre tout un secteur d’activité qui est la propriété industrielle. C’est à ce moment-là que germe l’idée d’une double compétence scientifique et juridique.
Je décide d’aller plus loin et prend contact avec un cabinet de brevet à Strasbourg et rencontre un Conseil en Propriété Industrielle et qui est également Professeur au CEIPI, centre d’études internationales de la propriété intellectuelle, afin qu’il me présente son métier. Je le remercie vivement aujourd’hui. C’est à la suite de ce rendez-vous que je décide de postuler pour entrer au CEIPI, tout de suite après ma soutenance de Doctorat en pharmacologie et pharmacochimie.
Pouvez-vous nous décrire votre parcours d’ingénieur brevets ?
Après le CEIPI, j’intègre de suite en tant qu’ingénieur brevet junior le service propriété industrielle du groupe RHODIA, aujourd’hui SOLVAY, dans le secteur de la chimie de spécialité, dans lequel je reste cinq ans. J’y apprends mon métier accompagnée et formée par un ingénieur brevet expérimenté. En parallèle, je passe avec succès l’Examen de Qualification Français EQF et l’Examen de Qualification Européen EQE, afin de devenir mandataire français et européen. Je travaille ensuite pour le laboratoire pharmaceutique français IPSEN pendant deux ans, puis pour le groupe LAFARGE, en chimie minérale, où je participe à la création du service Propriété Industrielle. C’est là que je passe mon dernier examen de European Patent Litigator. Après huit années, je rejoins alors le cabinet REGIMBEAU à Lyon puis le Groupe SEB, n°1 mondial du petit électroménager. J’y exerce toujours.
A quoi ressemblent vos journées ?
Mes journées sont à l’image de ce métier c’est-à-dire enrichissantes d’innovation, de techniques et de sciences et riches de défis intellectuels et pleines de surprises.
Il s’agit avant tout de conseiller les équipes de la Direction Innovation sur la meilleure stratégie pour protéger les résultats issus de la recherche, de s’assurer que le prototype ou projet de développement n’enfreigne pas des droits des tiers. Chaque jour, j’assure la procédure de délivrance de brevet partout dans le monde, en commençant par rédiger, à l’intention des offices de brevets nationaux et internationaux, une demande de brevet qui expose le caractère novateur de l’invention, dessins techniques et exemples à l’appui. Après examen, le brevet est alors délivré ou refusé. Son titre est valable pendant 20 ans sous condition du paiement de taxes annuelles, dans ce cas mon rôle est également de conseiller les équipes marketing sur l’intérêt business de conserver ces brevets. J’aide également à faire respecter les droits de brevet du Groupe SEB par la rédaction de lettres de mise en garde à l’égard des éventuels contrefacteurs et si besoin poursuivre en justice ces contrefacteurs.
« C’est un métier riche, très valorisant tant personnellement qu’intellectuellement. »